Avaricum ! Avaricum !
Il y a des années, ce nom faisait trembler les plus grands princes de l’univers. Chacun s’inclinait devant l’influence, l’opulence, et la culture du Saint-Empire, l’astre resplendissant dans le concert des nations. Par un savant mélange d’alliances conjugales, de tractations diplomatiques et de guerres fort bien menées, cet état - simple comté à ses débuts - se hissa minutieusement au sommet de la gloire.
Mais hélas ! La malédiction de l’indolence et la fatalité du déclin s’abattirent dans un fracas soudain sur les terres rurales de cette péninsule au peuple fier et travailleur. Tout commença lorsque Sa Majesté Édouard VI se retira dans sa propriété de Trèves, délaissant la gouvernance du pays et une partie de la cour le temps d’un léger repos. Le décès du souverain zollernois d’alors, le grand-duc François-Joseph, vint troubler la quiétude et l’insouciance du relais de chasse en perpétuel agrandissement. L’Empereur, sa famille, et quelques proches courtisans revêtirent donc le deuil et durent retourner promptement au Palais Aragon. Les carrosses et leur escorte s’ébranlèrent dans la matinée et prirent la direction de la capitale. Pourtant, personne ne les vît jamais arriver. C’est un meunier de passage sur la route empruntée qui donna l’alerte, quelques jours plus tard, à la maréchaussée locale : les voitures, brisées et calcinées, jonchaient le fond d’un fossé, entourées des gardes et domestiques tués à l’arme à feu.
Naturellement, dans un premier temps, l’on crut à une méprise. Mais la vérification de l’uniforme des soldats et du contenu des malles du cortège ne laissèrent aucun doute aux autorités. Puisque Edouard et sa famille restaient introuvables, les enquêteurs émirent l’hypothèse d’une attaque de rançonneurs. Par conséquent, l’on patienta des semaines à Castillon-Villeroy dans l’attente d’un signe des forbans réclamant un prix en contrepartie de la libération des otages. Mais ce fut le silence total. Au même moment, l’on apprit que les trois autres familles princières régnantes du Saint-Empire avaient elles-aussi disparues dans des circonstances similaires. Dès lors, une panique s’empara de la population des villes puis se propagea peu à peu dans les campagnes. Le peuple avarois, attaché à son pater familias, l’Empereur, et pétri d’absolutisme depuis des temps immémoriaux, se retrouva entièrement égaré et assommé par la terrible réalité d’un trône vacant et d’un gouvernement inopérant.
Car, s’ajoutant à ces pertes inexplicables, les institutions du pays se flétrirent de l’intérieur et entrèrent dans de violentes rivalités. Sans souverain, la monarchie absolue avaroise ne pouvait plus fonctionner : un corps ne vivait longtemps sans tête. Les intermédiaires s’entredéchirèrent pour des affaires allant de la simple transgression de prérogatives à la plus sévère divergence sur la personnalité à suivre en tant que chef de faction. De nombreux hobereaux et commis de l’Etat s’entourèrent en effet de suivants prêts à défendre au fil de l’épée leurs corporatismes autrefois endigués et tenus en respect par le complexe système des usages, de la préséance, et des faveurs impériales et princières. C’est ainsi que prirent forme de véritables cliques plus violentes et intimidantes les unes que les autres, découpant Avaricum en une multitude de seigneuries rivales orchestrées par des individus allant du simple capitaine de garnison jusqu’au plus puissant des marquis.
D’autres problèmes, déjà timidement présents dans les dessous du Saint-Empire, purent se manifester avec force et s’ajouter aux causes de cette déliquescence générale. La conversion de la population au zorthodoxisme, surtout par le biais de la noblesse, ne s’était déroulée que fort maladroitement et il s’avéra que bon nombre d’avarois pratiquaient encore le syisme en secret. Certaines cliques se rallièrent ainsi autour d’un exarque zorthodoxe ou d’un archiprêtre syiste autoproclamé, ajoutant une facette de conflit religieux à une crise nationale déjà terriblement grave. En outre, une nation halawite héritière de la défunte Turcosie, le califat d’Alharkoum, avait déjà entamé quelques actes de piraterie isolés peu avant la disparition de l’Empereur. Profitant de l'inexistence des surveillances côtières, le califat menait désormais des raids sur les bourgs en bord de mer, pillant vivres, richesses, et enlevant hommes et femmes pour les revendre comme esclaves. Ces écumeurs particulièrement fougueux firent montre d’une audace saisissante en remontant même plusieurs rivières pour s’attaquer aux contrées intérieures, tant et si bien qu’il était parfois possible de les apercevoir à une poignée de lieux seulement de Castillon-Villeroy.
Pourtant, tout espoir n’était pas perdu. Bien qu’elle aussi lézardée par les dissensions, une institution avaroise était parvenue à conserver quelques hommes intègres, droits, fidèles, et dont l’intérêt se confondait avec celui d’Avaricum tout entier : L’armée impériale. Ou, plus précisément, les soldats qui avaient décidé après des années d’errance et de petit brigandage de rejoindre le cercle de braves qui entourait le Sénéchal du Saint-Empire, Archibald-Tancrède d’Odenaarde-Barotant. Peu après les débuts de la crise, le Duc était sur le point de dévoiler au grand jour un complot au sein du Conseil des Immortels lorsque, au lieu d’arrêter les fautifs, ses propres hommes, manifestement soudoyés, le mirent au cachot où il croupit durant une année. Il parvint à s’en échapper au cours d’une fuite rocambolesque et rejoignit un corps de légionnaires des colonies stationnés à Porto-Vesti. C’est de là que débuta sa longue campagne de pacification d’Avaricum. Ralliant des régiments, en matant d’autres, le Sénéchal prit de l’expérience et plusieurs cheveux blancs. Les déplacements nombreux et rapides, les exactions de guerre, et une inquiétude constante pour ses hommes pesèrent profondément sur le Sénéchal qui se refusait obstinément à combattre aussi bassement et ignoblement que certains maîtres de clique.
Mais ce matin d’été, alors qu’Avaricum entrait dans sa seconde année de crise, le Duc de Barotant s’était dirigé avec plusieurs régiments d’infanterie légère et de hussards devant le principal poste-frontière menant en Aldarnor. Il était bien entendu déserté de ce côté-ci, et le pont avait semble-il été dynamité à la hâte. Toutefois, des soldats du royaume voisin, probablement de simples vigiles, paraissaient les observer de l’autre côté. Une estafette fut envoyée à cheval leur adresser un billet qu’elle plia dans un drapeau avarois, lui-même attaché à une pierre, et qu’elle lança ensuite si bien au-dessus de l’eau écumante qu’elle atterrit aux pieds des Aldanorins.
Il y a des années, ce nom faisait trembler les plus grands princes de l’univers. Chacun s’inclinait devant l’influence, l’opulence, et la culture du Saint-Empire, l’astre resplendissant dans le concert des nations. Par un savant mélange d’alliances conjugales, de tractations diplomatiques et de guerres fort bien menées, cet état - simple comté à ses débuts - se hissa minutieusement au sommet de la gloire.
Mais hélas ! La malédiction de l’indolence et la fatalité du déclin s’abattirent dans un fracas soudain sur les terres rurales de cette péninsule au peuple fier et travailleur. Tout commença lorsque Sa Majesté Édouard VI se retira dans sa propriété de Trèves, délaissant la gouvernance du pays et une partie de la cour le temps d’un léger repos. Le décès du souverain zollernois d’alors, le grand-duc François-Joseph, vint troubler la quiétude et l’insouciance du relais de chasse en perpétuel agrandissement. L’Empereur, sa famille, et quelques proches courtisans revêtirent donc le deuil et durent retourner promptement au Palais Aragon. Les carrosses et leur escorte s’ébranlèrent dans la matinée et prirent la direction de la capitale. Pourtant, personne ne les vît jamais arriver. C’est un meunier de passage sur la route empruntée qui donna l’alerte, quelques jours plus tard, à la maréchaussée locale : les voitures, brisées et calcinées, jonchaient le fond d’un fossé, entourées des gardes et domestiques tués à l’arme à feu.
Naturellement, dans un premier temps, l’on crut à une méprise. Mais la vérification de l’uniforme des soldats et du contenu des malles du cortège ne laissèrent aucun doute aux autorités. Puisque Edouard et sa famille restaient introuvables, les enquêteurs émirent l’hypothèse d’une attaque de rançonneurs. Par conséquent, l’on patienta des semaines à Castillon-Villeroy dans l’attente d’un signe des forbans réclamant un prix en contrepartie de la libération des otages. Mais ce fut le silence total. Au même moment, l’on apprit que les trois autres familles princières régnantes du Saint-Empire avaient elles-aussi disparues dans des circonstances similaires. Dès lors, une panique s’empara de la population des villes puis se propagea peu à peu dans les campagnes. Le peuple avarois, attaché à son pater familias, l’Empereur, et pétri d’absolutisme depuis des temps immémoriaux, se retrouva entièrement égaré et assommé par la terrible réalité d’un trône vacant et d’un gouvernement inopérant.
Car, s’ajoutant à ces pertes inexplicables, les institutions du pays se flétrirent de l’intérieur et entrèrent dans de violentes rivalités. Sans souverain, la monarchie absolue avaroise ne pouvait plus fonctionner : un corps ne vivait longtemps sans tête. Les intermédiaires s’entredéchirèrent pour des affaires allant de la simple transgression de prérogatives à la plus sévère divergence sur la personnalité à suivre en tant que chef de faction. De nombreux hobereaux et commis de l’Etat s’entourèrent en effet de suivants prêts à défendre au fil de l’épée leurs corporatismes autrefois endigués et tenus en respect par le complexe système des usages, de la préséance, et des faveurs impériales et princières. C’est ainsi que prirent forme de véritables cliques plus violentes et intimidantes les unes que les autres, découpant Avaricum en une multitude de seigneuries rivales orchestrées par des individus allant du simple capitaine de garnison jusqu’au plus puissant des marquis.
D’autres problèmes, déjà timidement présents dans les dessous du Saint-Empire, purent se manifester avec force et s’ajouter aux causes de cette déliquescence générale. La conversion de la population au zorthodoxisme, surtout par le biais de la noblesse, ne s’était déroulée que fort maladroitement et il s’avéra que bon nombre d’avarois pratiquaient encore le syisme en secret. Certaines cliques se rallièrent ainsi autour d’un exarque zorthodoxe ou d’un archiprêtre syiste autoproclamé, ajoutant une facette de conflit religieux à une crise nationale déjà terriblement grave. En outre, une nation halawite héritière de la défunte Turcosie, le califat d’Alharkoum, avait déjà entamé quelques actes de piraterie isolés peu avant la disparition de l’Empereur. Profitant de l'inexistence des surveillances côtières, le califat menait désormais des raids sur les bourgs en bord de mer, pillant vivres, richesses, et enlevant hommes et femmes pour les revendre comme esclaves. Ces écumeurs particulièrement fougueux firent montre d’une audace saisissante en remontant même plusieurs rivières pour s’attaquer aux contrées intérieures, tant et si bien qu’il était parfois possible de les apercevoir à une poignée de lieux seulement de Castillon-Villeroy.
Pourtant, tout espoir n’était pas perdu. Bien qu’elle aussi lézardée par les dissensions, une institution avaroise était parvenue à conserver quelques hommes intègres, droits, fidèles, et dont l’intérêt se confondait avec celui d’Avaricum tout entier : L’armée impériale. Ou, plus précisément, les soldats qui avaient décidé après des années d’errance et de petit brigandage de rejoindre le cercle de braves qui entourait le Sénéchal du Saint-Empire, Archibald-Tancrède d’Odenaarde-Barotant. Peu après les débuts de la crise, le Duc était sur le point de dévoiler au grand jour un complot au sein du Conseil des Immortels lorsque, au lieu d’arrêter les fautifs, ses propres hommes, manifestement soudoyés, le mirent au cachot où il croupit durant une année. Il parvint à s’en échapper au cours d’une fuite rocambolesque et rejoignit un corps de légionnaires des colonies stationnés à Porto-Vesti. C’est de là que débuta sa longue campagne de pacification d’Avaricum. Ralliant des régiments, en matant d’autres, le Sénéchal prit de l’expérience et plusieurs cheveux blancs. Les déplacements nombreux et rapides, les exactions de guerre, et une inquiétude constante pour ses hommes pesèrent profondément sur le Sénéchal qui se refusait obstinément à combattre aussi bassement et ignoblement que certains maîtres de clique.
Mais ce matin d’été, alors qu’Avaricum entrait dans sa seconde année de crise, le Duc de Barotant s’était dirigé avec plusieurs régiments d’infanterie légère et de hussards devant le principal poste-frontière menant en Aldarnor. Il était bien entendu déserté de ce côté-ci, et le pont avait semble-il été dynamité à la hâte. Toutefois, des soldats du royaume voisin, probablement de simples vigiles, paraissaient les observer de l’autre côté. Une estafette fut envoyée à cheval leur adresser un billet qu’elle plia dans un drapeau avarois, lui-même attaché à une pierre, et qu’elle lança ensuite si bien au-dessus de l’eau écumante qu’elle atterrit aux pieds des Aldanorins.
" Messieurs les vigiles,
Nous n’avons aucune intention belliqueuse.
Nous vous saurions gré d’aider ici-même nos soldats à reconstruire un pont provisoire à l’aide des quelques rondins que nous avons apportés.
Après quoi, nous aimerions nous entretenir auprès d’un représentant de Sa Majesté Apostolique au sujet des derniers évènements fâcheux en Avaricum.
Sincèrement vôtre,
Général Arban de Tassier, commandant du 2e Régiment d’Artillerie Impériale de la Seconde Armée. "