La capitale vivait au rythme des élections à présent. Cette année, il ne s’agissait que de la troisième législature. Le royaume était en ébullition, et le peuple satisfait de ce nouveau pouvoir qu’on lui avait donné : un nouveau hochet pour faire joujou plaisait toujours. Cependant, il ne fallait pas se laisser tromper par les apparences : le suffrage restait censitaire, et malgré la bonne presse que faisaient les journaux conservateurs à ses élections, louant le roi pour sa clairvoyance, son sens des responsabilités et l’amour qu’il vouait à son peuple, seule la bourgeoisie avait le droit de donner son avis et colorait la Chambre des nonces. Le droit de vote n’était pas donner aux ouvriers, à cette bonne populace que la cour craignait tant et qui semblait presque s’être convaincu qu’il était légitime qu’elle n’ait pas le droit de vote.

En fait, si de prime abord l’idée d’un suffrage universel est séduisante, en pratique elle l’est beaucoup moins. Tout le monde n’était pas instruit en Aldarnor, alors donner le droit de vote à tous, s’était un peu comme confier une grenade au premier paysan venu : très dangereux, pour ne pas dire trop dangereux. Le droit de vote était bel et bien une arme entre les mains des électeurs, ainsi le roi avait jugé bon de confier cette arme à ceux qu’il pensait les plus éclairés, ou du moins ceux qui étaient à même de saisir tous les enjeux d’une élection, qui avaient suffisamment de conscience pour ne pas s’arrêter à leurs simples intérêts particuliers et pouvaient (mais ne voulaient pas toujours…) prendre de la hauteur et penser au bien commun. Le roi avait le mauvais exemple du Belondor, où le suffrage universel avait été donné abruptement, sans avoir réalisé un travail d’éducation des masses au préalable, sans avoir préparer les Belondaures à leur futur métier de citoyens actifs. Cette erreur avait conduit au populisme et porté au pouvoir des gens peu recommandable.

Ainsi donc, en Aldarnor le suffrage resterait censitaire pour un long moment, les conditions du cens seraient élargies au gré des besoins et des évolutions du vivier des électeurs potentiels. Le roi était persuadé que la méthode était la bonne, et surtout la plus douce, celle qui entrainerait le moins de heurts. Du reste, Vincent II s’accommodait parfaitement des critiques : à droit on hurlait que c’était trop, beaucoup trop, et à gauche un braillait que ce n’était pas assez. Les grands hommes d’État ne cherchent pas à satisfaire, mais construisent un avenir meilleur.